Jacques Callot
CALLOT (Jacques), peintre et graveur, né à Nancy en 1593, mort en 1635, était le onzième enfant de Jean Callot, premier héraut d'armes de Lorraine. Son grand-père, Claude, avait épousé une petite-nièce de la Pucelle d' Orléans, et, pour sa bravoure, avait été anobli par le duc de Lorraine Charles III. A huit ans, Jacques Callot dessinait et coloriait des armoiries sous les yeux de son père. La passion de dessiner le tenait à ce point, qu'à l'école, apprenant à écrire, il fit un dessin de chaque lettre de l'alphabet. L'A, c'était le pignon de la maison de sa famille ; le B, la girouette de leur voisin, et ainsi des autres ; préludes charmants de cette facilité merveilleuse à produire, qui a fait de Callot un homme étonnant pour sa fécondité. A douze ans, cet enfant a déjà crayonné toutes les figures grotesques ou bouffonnes qu'il a vues à Nancy : soldats fanfarons, pèlerins, aïeux de Tartufe, montreurs d'ours, chanteurs, saltimbanques, bohémiens. Un beau jour, le désir de voir l'Italie, dont on lui parlait tant, le saisit au cœur; il part, avec ses douze ans ; il marche droit devant lui, couchant sur la paille fraîche, sur le grabat du cabaret, quelquefois, sans doute, à la belle étoile, mais libre, s'enivrant par les yeux du plus pittoresque des spectacles, le va-et-vient du voyageur sur les routes de la Suisse et du Milanais. A Lucerne, il est recueilli par une troupe de bohémiens. Le hasard a parfois la main heureuse. Callot, enfant choyé par des bohémiens les illustrera un jour... A Florence, Callot quitta ses bohémiens. Un gentilhomme piémontais, officier du grand-duc, surpris de voir sa figure délicate et les nobles façons de cet enfant égaré au milieu de cette troupe, lui offrit son appui et l'aida. Déjà il pouvait voir les murs de la ville éternelle, quand des marchands de Nancy, amis de sa famille, le reconnurent et l'emmenèrent de force avec eux, en Lorraine. Il s'échappa de nouveau et revit encore l'Italie, mais ramené une seconde fois sous le toit paternel par son frère aîné, son obstination vainquit les résistances de sa famille, et il suivit l'ambassade de Lorraine qui allait annoncer au pape l'avènement au trône d'Henri II. Jacques Callot n'avait que quinze ans ; il reviendra glorieux, riche, créateur d'un genre auquel il a donné son nom, ami des grands-ducs de Florence et recherché du roi de France, Louis XIII. Ce grand peintre de mœurs, mort jeune, a laissé une quantité innombrable de planches : on ne les évalue pas à moins de 1,600. Fougueux esprit, impatient génie, il abandonna vite le burin et adopta le genre de l'eau-forte, procédé plus pittoresque, plus expéditif, moins rebelle à la rapidité de ses conceptions. Il travailla sous plusieurs maîtres, mais n'écouta jamais que lui-même. A force de faire de légers croquis, de représenter, comme le vieux Timante, beaucoup de choses dans un petit espace, il sentit vaguement que son avenir n'était pas dans la peinture ; d'ailleurs alors, malgré les nobles tentatives des Carrache, la peinture était en décadence. Il entra à l'atelier de Thomassin, vieux graveur français, qui s'était fixé à Rome. La gravure était encore un art au berceau ; hormis Albert Durer et quelques artistes flamands, tous les graveurs prenaient pour modèle et pour maître Thomassin. Avec un talent assez médiocre, il avait fait fortune à Rome. Il gravait des sujets religieux, ça et là un sujet profane… Callot s'ennuyait parfois de toujours graver des saints en extase ; alors il lâchait la bride à son imagination et retrouvait ses bohémiens, les routes superbes de la haute Italie, le soleil, la liberté, l'imprévu sous toutes les formes. Il donnait le premier trait à sa cour des Miracles, à cette grande œuvre légère et profonde, bouffonne et sérieuse, plus triste que gaie, qu'il nous a laissée pour étude… Callot ne grava bientôt plus qu'à l'eau-forte. Dans ce genre de gravure, une découverte le servit beaucoup : il trouva que le vernis des luthiers, qui sèche à l'instant, allait mieux à son travail que le vernis mou, laissant au graveur le loisir de garder ses planches inachevées et de mieux creuser le trait. Il rencontra Alphonse Parigi, peintre ordinaire du grand-duc et l'aida dans ses travaux puis il se lia avec les peintres Stella et Napolitain et peignit, à Florence, quelques sujets dans le style flamand : la Vie du soldat, douze petites toiles bien connues par les lithographies qu'on en a faites. [mais] il ne faut pas s'y méprendre, Callot n'a jamais été un peintre… Il demeura dix ans à Florence. Cosme II étant mort, Ferdinand lui accorda également sa protection. Comme les beaux génies du grand-duché, il portait une médaille d'or suspendue à une chaîne précieuse. Durant ces dix années de labeur, il grava, entre autres sujets dignes de son talent : le Puits et le purgatoire, le Voyage de la Terre sainte, le Massacre des innocents, la foire de l'Imprunetta, la Grande passion, la Vie du soldat, et mille autres fantaisies charmantes et grotesques, toujours originales. Ces planches sont presque toutes des merveilles de l'art ; Callot y est arrivé à des effets magiques, inconnus avant lui, inconnus après lui, même pour ses imitateurs. Jamais le cuivre ne résistait à sa main puissante ; sur le cuivre, il créait. On peut pousser l'image jusqu'à dire qu'il tira un monde du chaos, un triste monde, il est vrai. Il ne fut pas un créateur sévère et naïf, car il voyait tout à travers le prisme de sa fantaisie. Peut-être, en grand poëte, a-t-il compris que tout se touche dans la vie, le grandiose et le grotesque, la douleur et la joie, la boue et l'or ; que, dans les pages les plus sérieuses de ce grand livre, il y a toujours le mot pour rire. Callot revint à Nancy, s'y maria avec une veuve, Catherine Kuttinger, et il devint dévot ; il passait tous les soirs une heure en prière. Son talent avait un immense retentissement. A Paris, à la cour même, on admirait ses prodigieuses fantaisies. Louis XIII, près de partir pour le siège de La Rochelle, voulut que le graveur lorrain fît partie de sa suite. Jacques Callot obéit, mais sans plaisir. Après le siège, il revint à Paris achever les gravures de ce fait d'armes. Il fut logé au Luxembourg, où il retrouva son ami Israël Silvestre, et où il se lia avec quelques décorateurs du palais, tels que Rubens, Simon Vouet, Poussin, Philippe de Champagne et Lesueur. Malgré ces amitiés illustres, il quitta Paris ; Nancy l'attirait. La Lorraine était heureuse : les beaux règnes de Charles III et d'Henri II avaient fait prospérer le duché. Toutefois, Charles IV avait dévié de la sage politique de ses deux prédécesseurs, et le grand cardinal de Richelieu épiait le moment de lui ravir sa couronne. Callot continuait alors sa grande et triste épopée qui a pour titre : les Misères et malheurs de la guerre, le plus éloquent réquisitoire qu'on ait formulé contre cet horrible fléau, et où il déploya un incomparable talent. Ce fut aux portes du tombeau que Jacques Callot exécuta ce chef-d'oeuvre qui s'appelle la Tentation de saint Antoine, poëme burlesque et grandiose, dont presque toutes les pages sont dignes de l'Arioste et de Dante. A ses derniers jours, il eut comme un ressouvenir de jeunesse, et, avec tout le feu de ses meilleures années, il grava la planche connue sous le nom de la Petite treille. Callot mourut le 25 mars 1635, âgé de quarante-deux ans. On lui éleva un tombeau fastueux parmi les sépultures de la famille des ducs de Lorraine, tombeau surmonté d'une pyramide où était suspendu le portrait de l'artiste, peint sur marbre noir par son ami Michel Lasne.
Callot gravait avec une agilité merveilleuse; quelquefois une planche en un jour. Il avait la passion de créer des gueux, des matamores, des scaramouches, comme d'autres ont celle de jouer ; c'était presque de l'ivresse; quand il veillait, il disait à ses amis qu'il passait la nuit en famille. Génie hardi et fantasque, Callot a une manière très rigoureuse de dessin et très finie de gravure : aussi il exprime sans nulle confusion les mille actions tourbillonnantes des foires, des sièges, des camps, des spectacles. Venu après Albert Durer et avant Rembrandt, Callot, malgré tout son génie, s'efface un peu entre ces deux grands maîtres dans l'art de peindre et de graver […] pourtant nul n'a si abondamment que lui moissonné avec une faucille d'or dans le pays verdoyant de la fantaisie.
Sources : Article du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (1817-1875)