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Jean-Léon Gerôme

Jean-Léon GÉROME*peintre français, né à Vesoul (Haute-Saône) le 11 mai 1824.
Après avoir commencé dans cette ville des études qui témoignaient déjà de son goût pour la peinture, il vint à Paris en 1841, entra presque aussitôt dans l'atelier de Paul Delaroche, sous la direction duquel il suivit un instant les cours de l'Ecole des beaux-arts, et l'accompagna en Italie.
De retour à Paris, il ne tarda pas a se faire connaître par son Combat de coqs, exposé au Salon de 1847, et qui lui valut une 3e médaille. Malgré ce premier succès, il changea de genre aussitôt et reparut l'année d'après avec deux sujets très différents l'un de l'autre : la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean, et, comme pendant : Anachréon, Bacchus et l'Amour. M. Gérôme obtint cette année-là une 2e médaille (1848). Passant d'un sujet à un autre avec une mobilité singulière et presque toujours avec un égal succès, il a donné ensuite : Bacchus et l'Amour ivres, un Intérieur grec et un Souvenir d'Italie (185l); une Vue de Paestum (1852); une Idylle (1853). Ces premiers ouvrages intéressèrent vivement la critique par des intentions littéraires et archéologiques, exprimées avec une grande netteté de dessin et de composition, sinon avec une grande vérité historique.
M. Gérôme eut bien vite des imitateurs, qui se vouèrent à la peinture des scènes de mœurs antiques et reçurent le nom de pompéistes, ou néo-Grecs. M. Théophile Gautier le proclama "chef d'une école, ou plutôt d'un petit cénacle de raffinés, poussant la délicatesse parfois jusqu'à la mièvrerie et s'ingéniant en mille recherches charmantes "… Ecole peu scrupuleuse, d'ailleurs dans le choix de ses sujets, et tombant volontiers dans la pornographie, témoin l'Intérieur grec exposé par M. Gérôme lui-même en 1851, et qu'un critique qualifia de " peinture de mauvais lieu "
En 1854, M. Gérôme fit une excursion en Turquie et sur les bords du Danube, et visita trois ans plus tard la haute et la basse Egypte, y remplissant ses cartons de nombreux dessins, pour des tableaux de chevalet auxquels il doit peut-être la meilleure part de sa précoce célébrité. En 1855, il envoya à l'Exposition universelle un Gardien de troupeaux, un Concert russe et une grande toile historique représentant le Siècle d'Auguste et la naissance de Jésus-Christ, acquise aussitôt par le ministère d'Etat. En dépit de certaines violences inutiles dans la ligne, le peintre du Siècle d'Auguste a fait preuve d'une science incontestable en rendant très claire une allégorie quelque peu confuse au premier aspect, il a montré du même coup que les règles du grand art historique ne lui étaient point inconnues. Aussi les admirateurs de son talent voyaient-ils déjà en lui un chef d'école ; malheureusement, de la haute peinture historique où il s'était élevé, il est bien vite retombé aux tableaux de genre, puis aux tableaux anecdotiques, suivant en cela l'exemple de son maître, M. Paul Delaroche. Outre une 2e médaille, M. Gérôme obtint la décoration de la Légion d'honneur. Il avait exécuté cette même année, pour l'Exposition universelle de l'industrie, les figures (grandeur naturelle) des diverses nations qui entouraient le phare modèle élevé dans le transept du palais. Le Salon de 1857 vit grandir la réputation, sinon le mérite, de M. Gérôme. Sept tableaux formaient le lot du jeune artiste à cette exposition : la Sortie du bal masqué ou le Duel de Pierrot, mélodrame où le grotesque se mêle au terrible, obtint un succès extraordinaire ; les six autres compositions, non moins dignes d'être remarquées, représentent pour la plupart des scènes orientales : la Prière chez un chef arnaute, les Recrues égyptiennes traversant le désert, une Vue de la plaine de Thèhes, Memnon et Sesostris, des Chameaux à l'abreuvoir. A l'occasion de cette exposition, M. Edmond About fit les réflexions suivantes : " II serait absurde de demander à M. Gérôme les qualités qui lui manquent, comme, par exemple, la verve ; mais je crois être dans mon droit en l'adjurant de ne plus cacher les qualités qu'il a. Il a tort de profiter de l'entraînement et de la facilité du public pour escamoter, le dessin... S'il n'y prend garde, il est menacé de tourner au Gérard Dov, et cela (Dieu nous soit en aide!) avec la facilité de Rubens. […] Nous sommes loin du temps où M. Gérôme, par quelques velléités de désintéressement dans l'art, nous promettait un amant passionné de la nature. Le voilà qui met le poli à la place du fini, une sécheresse pétrifiée à la place du dessin. Il invente un procédé courant pour exploiter, son talent acquis et produire, bon an mal an, une pacotille de demi chefs-d'œuvre.."

M. Gérôme essaya de revenir au grand art dans une Mort de César exposée au Salon… Mais ce tableau, médiocrement composé et d'un coloris terne et cru, fit peu d'impression sur le public, même le public lettré et savant. En revanche, les archéologues prirent le plus vif intérêt à deux petites compositions toutes pleines de détails érudits, l'une retraçant un combat de gladiateurs et intitulée Ave, César… M. Gérôme poussa plus loin encore le dédain de la morale dans deux tableaux exposés en 1861 : Phryné devant l'aréopage et Sacrale venant chercher Alcibiade chez Aspasie. L'archéologie graveleuse et malsaine qui s'affiche dans ces toiles n'a pas même l'excuse de la vérité -historique ; l'artiste y a travesti l'antiquité grecque, comme, dans ses Deux augures exposés la même année, il a travesti l'antiquité romaine. Il se trouva "dans la presse impériale des gens pour vanter ces obscénités grotesques ; mais la critique honnête les blâma sévèrement. M. Paul de Saint-Victor s'exprima en ces termes : " M. Gérôme renonce décidément au dessin, au goût et au style ; il se voue à l'art d'amuser le public et de mettre l'antiquité en vignettes, comme Benserade mettait l'histoire romaine en rondeaux. " Un autre critique, M. Du Camp, engageait M. Gérôme à ne point céder au mauvais goût du public, à renoncer pour toujours aux sujets érotiques, aux peintures de boudoir secret. Il est juste de dire qu'outre les trois compositions soi-disant antiques dont nous avons donné les titres, l'artiste exposa au Salon de 1861 une scène orientale très finement observée et rendue, le Hache-paille égyptien et une merveille d'exécution minutieuse : Rembrandt faisant rnordre une planche à l'eau-forte. Depuis, à l'exception de l'Aimée du Salon de 1864 et de la Cléopâtre du Salon de 1866, qui ne sont pas tout à fait exemptes d'intentions pornographiques, les tableaux exposés par M. Gérôme n'ont rien qui puisse choquer la pudeur la plus ombrageuse. Les meilleurs ont été inspirés à l'artiste par l'Orient : le Prisonnier et le Boucher turc (1803) ; la Prière…, le Marché d'esclaves et le Marchand d'habits (1867); le Marchand ambulant au Caire et la Promenade du harem (18G9). Ces peintures ethnographiques suffiraient pour assigner à M. Gérôme un rang élevé parmi les artistes contemporains ; il y a déployé une finesse d'observation et une précision de dessin tout à t'ait remarquables. M. Gérôme a tout ce qu'il faut pour ce genre d'ouvrages, a dit M. Th. Gautier, " l'œil qui voit vite et bien, la main qui exécute savamment et sûrement, écrivant chaque détail avec une netteté aussi imperturbable que celle du daguerréotype, et surtout un sens que nous nommerons exotique, qui lui fait découvrir aussitôt les différences caractéristiques d'une race à une autre." M. Du Camp, qui a écrit sur l'Orient des livres justement estimés, a témoigné de l'exactitude des tableaux de M. Gérôme : "Quand cet artiste se mêle d'être précis, il est plus que personne ; mais, pour cela, il faut qu'il ait vu ; il imagine mal et se rappelle très bien. Il a saisi au passage, avec un grand bonheur, les différents types de l'Orient. L'Arabe, le Skipètar, le Turc, le Barabras, le Syrien se reconnaissent au premier coup d'œil, et, dans l'expression ethnographique de ses personnages, il reste toujours vrai. " M. Du Camp a fait toutefois les réserves suivantes : " M. Gérôme a beaucoup voyagé, mais il a évidemment porté dans ses longues pérégrinations les préoccupations de l'art rétréci, amoindri, auquel le goût public l'a condamné. […] Dans les scènes historiques comme dans les scènes orientales, M. Gérôme a cherché avant tout à frapper le public par la singularité du sujet, par les raffinements et les tours de force d'une exécution méticuleuse. Dans le Louis XIV et Molière du Salon de 1863, les costumes sont plus intéressants que les figures, et, suivant la remarque d'un critique, l'importance donnée à la nappe ornée qui couvre la table tend à en faire le personnage principal de la composition. […] Tout en reconnaissant qu'on peut reprocher à M. Gérôme d'avoir le trait un peu sec et la coloration souvent trop aigre, M. Du Camp estime que, lorsque le temps aura mis sa patine puissante sur les toiles de cet artiste, elles s'harmoniseront dans une teinte douce et profonde. Des différents jugements qui précèdent, nous pouvons conclure que M. Gérôme est un des peintres les plus instruits, les plus lettrés, les plus habiles et les plus raffinés de l'école contemporaine ; celui de tous, peut-être, qui a le talent le plus net, le plus conscient. Il ne connaît ni les emportements de l'imagination ni les emportements de la main; il a l'esprit alerte, léger et sceptique du Parisien ; il manque absolument d'idéal, dans le sens que l'Académie donne à ce mot ; il rend à merveille ce qu'il voit ce qu'il observe, mais il est incapable de conceptions élevées, et, quoi qu'en aient dit certains critiques, nous pensons que, si, au lieu de s'adonner à la petite peinture, il se fût obstiné à exécuter de grandes compositions historiques, comme le Siècle d'Auguste et la Mort de César, il ne serait pas sorti de la médiocrité. Les peintures religieuses qu'il a exécutées pour l'église Saint Séverin, à Paris, la Communion de saint Jérôme et la Peste de Marseille, nous confirment dans cette opinion ; le sens intime des sujets sacrés, comme le sens de l'art décoratif, fait absolument défaut à cet artiste.
M. Gérôme a été nommé membre de l'Institut eu 1865. A l'occasion de l'Exposition universelle de 1867, où reparurent les principaux tableaux qu'il avait exposés depuis 1855, il obtint une grande médaille et l'ut nommé officier de la Légion d'honneur. Ajoutons qu'en devenant le gendre, de M. Goupil, éditeur d'estampes et de photographies et marchand de tableaux, qui fait un commerce considérable, il a vu ses peintures popularisées par d'innombrables reproductions et vendues à des prix énormes aux collectionneurs des divers pays.


Sources et extraits : Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. 1875

Avertissement : Cet article de Pierre Larousse (1817-1875) date du début de la IIIe République, il reflète le regard d'une époque
et la sensibilité artistique d'un auteur.